VICA et les contextes organisationnels du modèle Cynefin (1/2)

Cette série de deux articles explore l’adéquation entre les modèles d’organisation attribués aux systèmes de valeur de la Spirale Dynamique et chacun des cinq contextes organisationnels identifiés par le modèle Cynefin.

Ce premier article intitulé VICA et les contextes organisationnels du modèle Cynefin fait le lien entre la complexité croissante des contextes organisationnels, les besoins d’évolution selon la Spirale Dynamique et les différents contextes proposés par le modèle Cynefin. Dans le deuxième article Cynefin et les modèles d’organisation de la Spirale Dynamique, nous explorerons en détail les différents modèles d’organisation qui correspondent aux niveaux d’existence de la Spirale Dynamique et lesquels sont compatibles avec chacun des contextes du modèle Cynefin. Nous ferons également le lien entre le modèle Cynefin et les systèmes de valeur du 2ème cycle de la Spirale Dynamique. Le deuxième article s’adresse à une audience ayant une connaissance de base de la Spirale Dynamique et une compréhension que les systèmes de valeur (violet, rouge, bleu, orange, vert et jaune) correspondent chacun à un type de structure organisationnelle.

Le contexte du 21e siècle des organisations

Ce siècle est caractérisé par l’accélération dans les domaines de l’évolution humaine, sociétale, environnementale, technologique et économique. Dans cet environnement souvent appelé VICA (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté), nous constatons l’émergence d’un nouveau paradigme dans le domaine des organisations pour lesquelles la capacité d’adaptation dans un environnement en évolution permanente devient le premier critère de succès, mais également de survie. La culture et la structure organisationnelles ainsi que la place donnée à l’humain sont en train d’évoluer. En réponse à cet environnement VICA, les organisations tendent à évoluer vers des modèles plus agiles, distribués et auto-organisés.

Les quatre composantes qui constituent l’acronyme VICA sont :

  • Volatilité : les cycles technologique et économique s’accélèrent.
  • Incertitude : il devient de plus en plus difficile de prévoir ou d’anticiper l’avenir.
  • Complexité : les sources d’information se multiplient et la quantité de paramètres à prendre en compte évolue sans cesse.
  • Ambiguïté : malgré une information abondante, nous manquons de clarté sur la manière de l’interpréter, l’information est contradictoire, imprécise ou incomplète.

Nous observons également une évolution des besoins des individus qui ne se contentent plus d’effectuer leur travail et avoir des hobbies. Avec l’avènement d’Internet, les individus souhaitent de plus en plus être actifs et s’impliquer mentalement et émotionnellement dans leurs projets, y compris dans leur organisation. Le besoin d’autonomie et d’indépendance est aussi en augmentation constante, chacun cherche à avoir son libre arbitre et pose dorénavant ses exigences avant de s’engager pour quoi que ce soit. Et finalement, le besoin de sens et de s’identifier à des valeurs une cause importante se généralise dans la société. Initialement attribuée aux nouvelles générations Y ou Z, cette « quête de sens » s’est très vite étendue à toutes les générations actives aujourd’hui.

Les différents contextes organisationnels

Il semble y avoir un lien entre l’environnement VICA, particulièrement la complexité croissante, et l’émergence d’un nouveau type d’organisation. Tous les modèles qui existent pointent vers la complexité croissante comme l’une des raisons du besoin d’évolution. Dans ce cas, quel modèle choisir pour faire face à cet environnement ? Aucun modèle n’est intrinsèquement meilleur qu’un autre. En réalité, seule l’adéquation entre un modèle et le contexte organisationnel est déterminant du bon fonctionnement d’une organisation.

Attention cependant de ne pas généraliser le besoin d’évolution et vouloir l’appliquer à toutes les organisations. La spirale dynamique est un modèle – ou une grille de lecture – qui permet de cartographier les différents paradigmes d’évolution autant de l’humain, des organisations, que de la société au sens large du terme. Bien qu’il serait tentant de vouloir évoluer le long des différents paradigmes et évoluer dans des paradigmes dits « supérieurs », ce n’est pas comme cela que fonctionne l’évolution. La spirale dynamique l’explique d’ailleurs très bien. L’évolution n’a lieu que lorsqu’il y a un manque de congruence entre les conditions de vie (contexte social, économique, politique, technologique, etc.) – qui évoluent – et les pratiques que nous avions développées pour faire face aux conditions de vie précédentes. Autrement dit, sans tensions entre notre fonctionnement et l’environnement, aucune évolution concrète n’est nécessaire, ni souhaitable. Cela nous permet de sortir d’une fausse vision de l’évolution qui se ferait automatiquement, naturellement et de manière linéaire vers des contextes et des modèles de plus en plus complexes.

Pour commencer, il est intéressant d’observer que le contexte organisationnel de la « complexité » n’est pas systématiquement présent, même dans un environnement VICA. En revanche, la complexité s’invite dans tous les contextes à partir du moment où une organisation souhaite sortir de la vision mécaniste de son fonctionnement et choisit de mettre l’humain au centre de ses préoccupations plutôt que de le considérer comme une simple ressource. En effet, le fonctionnement d’un seul être humain étant déjà de nature complexe, la complexité va crescendo à partir du moment où l’on demande à plusieurs êtres humains de collaborer et de former une organisation.

Le modèle Cynefin

Le modèle de Cynefin a été développé par David Snowden en 1999. Cynefin se prononce « kuh-NEV-in » car il s’agit d’un mot gallois (qui signifie habitat). Le principe est que toute situation ou tout problème auquel vous êtes confronté·e appartient à l’une de ces quatre catégories : évident, compliqué, complexe, chaotique. L’espace sombre au centre représente le désordre.

Le modèle Cynefin n’est pas une matrice 2×2 « catégorisante » habituelle. C’est un modèle qui émerge pour donner du sens à des dimensions existantes, mais dont les frontières sont parfois floues. C’est la raison pour laquelle les lignes délimitant les différents contextes ne sont pas droites. Le modèle distingue une nature « prévisible » sur la droite du modèle et « imprévisible » sur la gauche.

Nous aborderons plus tard différents contextes organisationnels basés sur le modèle Cynefin, mais commençons par illustrer son utilité. Ce modèle a été conçu comme un outil de résolution de problèmes qui aide à évaluer une situation en identifiant dans lequel des cinq « contextes » elle s’inscrit et comment y répondre de manière appropriée.

Dans la plupart des situations professionnelles qui se sont avérées pires que prévu, il apparaît que les décideurs ont supposé qu’ils avaient affaire à un contexte évident ou compliqué (le côté droit du diagramme) alors qu’il est devenu clair plus tard qu’il s’agissait en réalité d’un contexte complexe ou peut-être même quelque peu chaotique (le côté gauche du diagramme). Si une situation est claire (le côté droit du diagramme), alors la relation de cause à effet est prévisible et, avec une recherche suffisante, une action efficace peut être développée. L’expertise est généralement très utile pour traiter des problèmes compliqués, car plus vous en savez sur les variables et les nœuds de causalité, meilleure est la décision que vous pourrez prendre.

Cependant, si vous avez mal diagnostiqué votre contexte et que vous êtes en fait confronté à une situation complexe, alors pratiquement toutes les techniques qui vous aident à résoudre des problèmes plus simples ont tendance à être contre-productives face à la complexité. Les situations complexes sont difficiles à maîtriser car les relations de cause à effet ne sont pas claires, et la meilleure façon de les traiter est souvent de procéder par essais et erreurs. Une caractéristique particulièrement problématique des situations complexes est que le recours à l’expertise vous fait souvent dévier de votre route. Les experts pensent savoir comment les choses fonctionnent et mettent en œuvre des solutions qui ne font qu’aggraver la situation.

L’application du cadre Cynefin au problème du changement organisationnel met en évidence une pathologie persistante : la plupart des initiatives de changement sont menées comme si leur mise en œuvre était compliquée, alors qu’en fait le changement organisationnel est complexe et souvent désordonné.

La relation de cause à effet

Commençons par une vue de la relation de « Cause (C) à Effet (E) » dans les différents contextes :

  • Évident : Les problèmes sont perçus comme « évidents » et ont un lien de cause à effet direct, clair et répétable. Le caractère « prévisible » du lien de cause à effet est particulièrement marqué. Le jeu du « morpion » dans lequel deux joueurs remplissent tour à tour les cases d’une grille de 3 par 3 est une bonne représentation : quelques règles simples suffisent à jouer la meilleure partie possible, comme placer la première pièce dans un angle.
  • Compliqué : La relation de cause à effet n’est plus de nature évidente et demande souvent une analyse fine, souvent conduite par des experts, pour déterminer les différentes relations entre de multiples causes et les effets observés. La prévisibilité existe encore, mais c’est le domaine d’experts qui utilisent différents modèles prévisionnels. Le jeu des échecs illustre bien ce contexte, il s’agit de simultanément considérer plusieurs options possibles et d’agir de façon à réduire l’imprévisibilité.
  • Complexe : Les problèmes complexes sont d’une nature complètement différente des problèmes compliqués. La principale différence est que la relation de cause à effet se révèle uniquement de manière rétrospective. La métaphore de jeu pour la complexité est le poker. Contrairement aux échecs qui est un jeu de prévision, le poker est un jeu qui demande une observation fine et de procéder par des expérimentations. Dans un contexte de complexité, il n’y a pas de façon d’apprendre pour résoudre le problème, il faut nécessairement passer par l’action.
  • Chaotique : Le chaos arrive lorsqu’il n’y a aucun rapport observable, même à postériori, entre cause et effet ou que ces rapports évoluent constamment. Dans ce contexte, il ne sert plus à rien d’investiguer ni d’analyser. Aucune étude ne permet d’améliorer les chances de réussite de nos actions. L’analogie de jeu est le jeu d’enfants dans lequel les règles changent continuellement.

Les pratiques

Observons maintenant les différents types de pratiques que ces différents contextes suscitent pour la résolution de problème :

  • Évident : Après avoir regardé toutes les options possibles et calculé la meilleure voie, nous répondons aux problèmes évidents en choisissant la meilleure pratique possible. Combinée au caractère prévisible du lien entre cause et effet, la meilleure pratique devient rapidement connue de tou·tes. Par exemple, le fait de se laver les mains dans une période d’épidémie virale est la meilleure pratique pour réduire les risques de contamination.
  • Compliqué : Il n’y a plus de « meilleure » pratique dans ce contexte mais après une série d’analyse il est possible de déterminer de « bonnes pratiques » en fonction des résultats observés à la suite d’une série d’expérimentation. Un exemple d’une « bonne pratique » au jeu d’échecs consisterait à associer une valeur aux pièces et de s’assurer d’avoir une valeur totale des pièces supérieure à celle de l’adversaire. Les recommandations des autorités sanitaires au début de la crise du COVID-19 en sont de parfaits exemples : interdire les rassemblements, fermer les écoles et les commerces, confinement des personnes à risque, etc.
  • Complexe : Comme le chemin passe par une partie expérimentale, l’action fait partie du cycle. Il s’agit d’investiguer les résultats que nos actions ont produits, sentir comment adapter nos pratiques et expérimenter à nouveau. Les pratiques qui en résultent sont de nature émergente. La réduction progressive des mesures sanitaires dans le contexte du COVID-19 illustre bien cette approche par étape puisqu’aucun modèle ne permet de prédire l’impact d’un déconfinement ou la fin d’une mesure sur les risques de déclencher une nouvelle vague de contamination.
  • Chaotique : Puisque les règles et le contexte sont en évolution permanente, un contexte chaotique invite à agir et essayer de nouvelles pratiques sans avoir d’indication quant à leur effet sur le problème à régler. Dans la situation sans précédent du COVID-19, les exécutifs gouvernementaux ont pris le pouvoir et agi le plus rapidement possible. L’objectif principal des leaders qui se trouvaient en position d’agir était de stabiliser la situation afin de pouvoir sortir du chaos le plus vite possible.

Les stratégies et types d’organisations

Les stratégies pour résoudre les problèmes et les modèles organisationnels sont également différents dans chaque contexte et ils sont connectés l’un avec l’autre.

  • Évident : pour reprendre l’analogie du jeu du morpion, observer consiste à regarder la grille. Ensuite, nous catégorisons les moyens de réduire les combinaisons possibles en plus petits sous-ensembles, plus gérables. La catégorisation est l’élément central de la stratégie de résolution de problème principale dans ce contexte avant qu’une réponse se produise. Ce contexte est prédestiné à un type d’organisation centralisée, car il est possible pour une personne ou un petit groupe de personnes d’avoir une vue d’ensemble de tout ce qui se passe (à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation).
  • Compliqué : Là où il suffisait de catégoriser dans le contexte évident, il s’agit d’analyser dans le domaine compliqué. C’est dans cette phase qu’interviennent les conseils d’experts qui développent des modèles permettant d’interpréter les observations et préconisent ensuite des actions dans le but d’influencer le cours des choses. Pour une organisation qui évolue dans un contexte « compliqué », il est nécessaire de développer différents centres de compétences et d’expertise. La structure centralisée arrive à ses limites dans ce contexte et nécessite une forme de décentralisation avec une délégation formelle des compétences. La dimension de l’intelligence collective fait son apparition parce qu’il est souvent nécessaire de réunir différents experts afin de pouvoir analyser une situation et déterminer, collectivement, les meilleures pratiques à implémenter. Dans ce contexte, le type d’organisation décentralisée est le plus courant.
  • Complexe : Puisque l’analyse ne suffit plus pour résoudre un problème complexe, il est nécessaire de commencer par investiguer, ce qui suppose une forme d’action. Dans l’exemple du poker, l’investigation peut prendre la forme d’une mise, ce qui force l’adversaire à répondre, soit en pliant ou en surenchérissant. Cela permet de sentir leur réaction. D’autres formes d’investigations peuvent être l’observation du langage corporel, mais l’interprétation ne passe pas par une analyse des observations, mais par une partie plus subtile qui fait appel au ressenti. Pour une organisation qui évolue dans un contexte « complexe » ou plus largement qualifié par VICA, le type d’organisation distribuée est le plus approprié. Le principe de subsidiarité permet d’effectuer ce cycle d’investiguer-sentir-répondre au plus proche du terrain et de s’éloigner d’un quelconque pouvoir centralisé qui ne peut fonctionner que par analyse et anticipation. Lorsqu’une organisation fait face à un contexte complexe, passer à un modèle d’autorité distribuée et d’intelligence collective est la seule façon de garantir une agilité, une capacité d’évolution et une durabilité à long terme.
  • Chaotique : Dans une situation chaotique, agir est le premier pas nécessaire. Pour reprendre l’analogie au jeu d’enfants, il ne sert à rien de chercher à analyser les règles ou investiguer. Il s’agit d’abord de participer au jeu avec les autres, de sentir l’impact sur les autres et ajuster sa façon d’agir ou de répondre selon l’impact sur les autres. L’action étant la première étape de toute stratégie dans un environnement chaotique, un type d’organisation centralisée est le mieux adapté pour que les décisions sur la manière d’agir puissent être prises rapidement par une ou quelques personnes. À ce stade, il importe peu que l’action entreprise soit correcte, mais il importe surtout d’agir rapidement pour être en mesure de ressentir l’impact de cette action et d’y répondre.

Observation sur la division haut-bas du modèle Cynefin

Le modèle Cynefin présente une structure gauche-droite intuitive qui distingue les contextes prévisibles à droite des contextes imprévisibles à gauche. Mais la distinction entre haut le bas est moins apparente et l’auteur n’a pas de réponse explicite à cette question. À première vue, les contextes « évident » et « chaotique » ont très peu en commun. En dressant la carte des types d’organisations qui conviennent à chaque contexte, nous pouvons maintenant observer un point commun entre le contexte évident (parfois aussi appelé « simple ») et le chaotique en bas du modèle : tous deux s’en sortent mieux avec un type d’organisation centralisée, alors que ce n’est manifestement pas le cas des deux autres contextes.

D’une certaine manière, le besoin d’un type d’organisation centralisée dans le contexte chaotique est dû au fait qu’il s’agit d’une approche « simple » par essais et erreurs. Dans un contexte évident il peut bien sûr y avoir une stratégie mais son exécution est relativement simple, alors que dans le contexte chaotique il n’y a pas de stratégie possible car rien n’est prévisible. Dans les deux contextes, il est plus efficace de ne pas avoir trop de discussions et de débats avant d’agir. Dans le contexte évident, c’est vrai parce qu’il serait inutile de compliquer une situation qui est évidente et dans le contexte chaotique, c’est vrai parce que cela prendrait du temps et entraverait l’action nécessaire qui doit être entreprise.

 

La suite de cette série se trouve dans le deuxième article intitulé Cynefin et les modèles d’organisation de la Spirale Dynamique.

En vidéo (conférence ValueMatch)

Voici l’enregistrement d’une conférence présentant ce matériel (en anglais) en novembre 2022.

 

Ressources et lectures conseillées

Cofondateur, accompagnant et formateur | Articles

J'ai fondé Paradigm21 en 2018 pour partager 3 ans d'expérience de création et de pilotage d'une organisation "distribuée". Je suis engagé à accompagner la transformation de notre société et ses institutions.

Spécialisé dans le diagnostic et l'accompagnement à la transformation, je combine la spirale dynamique, la vision intégrale avec une approche humaine et holarchique des organisations.

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